Un séjour dans le Mézenc, Terre d’Accueil (3)

Conférence les Estables

Samedi après-midi tout ce monde s’est dirigé sur la Commune des Estables où RESF43 avait donné rendez-vous pour une conférence sur le Racisme d’Etat. Bien entendu, les bénévoles de la LOCO, Mylène, Geneviève, Jean-Paul et Didier été présents pour ce partage à partir de l’intervention de Olivier Le Court Grandmaison.

Olivier Le Court Grandmaison
Olivier Le Court Grandmaison

 

Vers 17h 30, Didier reçoit un coup de téléphone de Fatah. Il arrivait sur les Estables avec 4 autres gars du CADA afin de participer à la soirée et à la montée du Mont Mézenc du lendemain.
A 18h, le programme de l’évènement soutenu par RESF43 proposait des témoignages. Didier avait proposé, lors de la préparation, les témoignages de quelques gars qui sont aujourd’hui sorti de la structure. Habitants le territoire du Brivadois, ils sont bénévoles à la LOCO.
Didier avait donc contacté plusieurs d’entre eux qui étaient favorables pour participer. Malheureusement, sur les 6 qui avaient répondus, seulement deux ont pu être présents physiquement.
OMAR, SAMDJIDA et MUSLIM n’ont pas pu être présents en raison de leur travail. Farid, lui, devait combattre sur Lyon ce même jour.

Le premier à avoir témoigné, c’est Zainullah !

« Pourquoi tu es parti de chez toi ? »
J’ai eu un problème avec les talibans. J’ai été obligé de quitter mon pays.
C’était quoi le problème ?
Un jour mon père était malade. C’était notre tour d’aller arroser le jardin. J’y suis allé. Cinq talibans sont venus me rejoindre. Ils m’ont demandé d’aller chercher des repas. J’ai répondu que je ne pouvais pas parce qu’il fallait que j’arrose. Ils m’ont répondu que je devais y aller. Ils m’ont menacé avec la kalachnikov. On t’attendra ici.
J’avais peur. Je suis rentré chez moi et j’ai dit à ma mère qu’il y avait 5 talibans qui réclamaient à manger. C’est comme ça. Les talibans forcent les gens à les nourrir.
Ma mère a préparé. Cela a pris une heure et demie.
On a entendu des coups de feu. Quand je suis sorti, j’ai vu que ces échanges de feu se faisaient vers notre jardin. Ma mère m’a dit de rester à la maison. Ensuite, quand cela a été fini, je suis sorti. Des voisins nous ont dit que les échanges de feu avaient eu lieu entre les militaires et les talibans.
Le lendemain matin des personnes ont frappé à la porte. C’était des talibans qui ont demandé où j’étais. Ma mère n’a pas dit la vérité. Elle a dit que j’étais au champ. Il devait être midi. Mon père est allé à la mosquée. L’Iman lui a dit que les talibans étaient très en colère. Ils cherchent ton fils pour le tuer. Mon père a eu très peur. Quand mon père est revenu de la mosquée, il m’a demandé de partir chez mon oncle dans la grande ville voisine. Il avait compris que cela était dangereux pour moi.  
Je suis parti. Les talibans sont revenus et ils ont expliqué à ma mère qu’ils pensaient que c’était moi qui avais prévenu les militaires. Dans la bagarre il y a eu des talibans qui sont morts.
Je suis resté trois jours chez mon oncle. Mais les talibans ont dit à mes parents que s’ils me trouvent, ils me tuent. Ils ont frappé mes parents en pensant qu’ils me cachaient.
Mon oncle et mon père ont trouvé quelqu’un pour me faire sortir d’Afghanistan.

Et tu es passé par quels pays ?
Je suis passé par l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France. Je voulais venir en France parce qu’il y a des militaires français en Afghanistan. J’ai mis deux ans pour arriver en France.

« Quel accueil dans les pays que tu as traversés ? »
En Iran on n’est pas bien accueillis. Les militaires n’ont pas été gentils avec nous.
En Turquie l’accueil était bien. Mais en Bulgarie les gens sont méchants. Un jour, il pleuvait et je suis allé sous un pont. Pourquoi vous nous demandez de partir ? Parce que des gens nous appellent et veulent que vous partiez.
En Hongrie non plus. Les militaires nous envoyaient les chiens dessus.
En Serbie les gens étaient gentils. Je suis resté 15 mois dans un camp. Un jour j’ai demandé pourquoi ils étaient gentils alors que les bulgares étaient méchants. Le gardien m’a répondu que dans le passé ils avaient vécu cette situation. Leur président a demandé que l’on soit gentil avec nous.
« Et aujourd’hui, qu’est-ce que cela veut dire pour toi l’accueil ? »
Une fois arrivé à Paris, les gendarmes nous ont amenés dans un centre à Melun. J’ai pu faire ma demande d’asile. Après je suis arrivé à Saint Beauzire.

A Saint Beauzire les salariés acceptent la présence des bénévoles. Leur présence participe à un bon accueil. Ils nous aident pour apprendre le français, nous proposent des activités. Souvent ils nous amènent nous promener. Cela nous change un peu la tête. C’est très long d’attendre la réponse de l’OFPRA. Les bénévoles viennent et cela nous change la tête pour supporter ce qui est difficile. Certains nous prennent chez eux.
A vous, j’ai envie de dire qu’il faut continuer à ne pas laisser quelqu’un sur la route. Les bénévoles m’ont bien accueilli, il faut continuer pour que la vie se passe bien.
Il faut continuer à bien accueillir les gens. Il ne faut pas nous tourner le dos. Même si tu n’as pas le temps, il suffit de dire bonjour et ça fait du bien au cœur.

Ensuite, grâce au miracle de la technologie, Farid a pu témoigner malgré son absence.

Christophe BEDROSSIAN, aidé de quelques gars et bénévoles du CADA de Saint Beauzire, a créé un webdoc sur lequel se trouvent plusieurs témoignages de demandeurs d’Asile, de salariés du Centre d’Accueil et d’Orientation de Saint Beauzire. Vous pouvez entrer dans ce voyage qu’il nous propose en allant rejoindre les aventuriers sur http://odyssees-webdoc.fr/.
Le lendemain, alors que nous étions au sommet du Mont Mézenc, des personnes sont venus me voir et m’ont demandé si Farid avait gagné son combat. Ne le sachant pas, nous l’avons appelé. Il n’avait pas gagné ce combat-là, mais il était très heureux que les gens aient entendu son histoire. Il nous a remercié pour notre appel.

Le troisième à témoigner ce soir-là, c’est Mojtaba.

Aujourd’hui, il travaille à Fontannes au sein du Laboratoire COSMETOSOURCE dans le Brivadois.

Mojtaba a pu partager sa longue attente afin d’obtenir le droit d’asile. Longue attente qui a eu des conséquences sur sa vie puisque depuis plus de huit ans il n’a pas été présent auprès de sa femme et de ses enfants. Celle-ci a également été à l’origine de la mésaventure administrative concernant son permis de conduire.
Avant d’obtenir le droit d’asile en France, il a attendu 5 à 6 ans en Europe. Vous imaginez cette errance et la difficulté pour lui de vivre loin de son épouse et de ses enfants ? « Ma femme ne veut plus me croire. Elle pense que j’ai quelqu’un d’autre et que je l’ai abandonnée. » Une fois le statut obtenu, Mojtaba a trouvé un travail sur le territoire de Brioude. Il parle parfaitement le français. Il avait le permis au Soudan. Il l’a donc remis en préfecture et a eu le droit de conduire. Pendant presque 8 mois, il a obtenu le droit de conduire. Et voilà qu’il reçoit un courrier du Préfet de la Loire atlantique :
« Monsieur,
Le 19 février 2019, vous avez déposé auprès des services de la préfecture du Puy en Velay, une demande en vue d’échanger contre un permis de conduire français le permis de conduire n°… délivré le 28 juin 2011 par le Soudan. Votre demande est examinée dans le cadre juridique des dispositions du code de la route, notamment de l’article R.222-3 de ce code et de l’arrêté interministériel du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d’échange des permis de conduire délivrés par les Etats n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen. L’article 5-1-8 de cet arrêté précise que pour être échangé contre un titre français, tout permis de conduire délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen, doit être en cours de validité au moment du dépôt de la demande à l’exception des titres dont la validité est subordonnée par l’Etat qui l’a délivré aux droits aux séjour sur leur territoire du titulaire du titre.
Or, votre permis de conduire soudanais était valable jusqu’au 28 juin 2016., En conséquence, je ne peux pas vous accorder l’échange du permis de conduire dont vous avez fait la demande.
L’original du permis de conduire présenté à l’échange est joint à ce courrier et l’attestation de dépôt sécurisée délivrée à l’occasion de votre demande d’échange n’est plus valable.
Pour conduire un véhicule en France vous devez désormais vous présenter et réussir l’examen du permis de conduire, je vous informe toutefois qu’en tant que titulaire d’un permis de conduire étranger vous n’êtes pas soumis durant votre apprentissage à l’accomplissement de 20h de conduite minimum et à la détention d’un livret d’apprentissage. … »
Or, en regardant de près le texte de loi que la préfecture oppose à la demande d’échange de permis, que lit-on ? « Les dispositions du B du I de l’article 5 relatives à la validité du titre ne sont pas applicables aux bénéficiaires du statut de réfugié, aux apatrides et aux étrangers ayant obtenu la protection subsidiaire dès lors que la validité du permis liée au paiement d’une taxe ou au résultat d’un examen médical est arrivée à expiration à la date où le délai d’un an, défini selon les modalités prévues au deuxième alinéa, commence à courir. »

Un des bénévoles du site que j’ai interpelé sur le cas de Mojtaba a donc proposé que celui-ci fasse un recours administratif gracieux.

« Madame la Directrice,

Je vous fais part, par la présente, de ma volonté de procéder à un recours administratif vis-à-vis de la décision qui m’est parvenue le (date) par lequel vous m’annoncez le rejet de ma demande d’échange de mon Permis de Conduire soudanais contre un Permis de Conduire français. Je me permets de vous rappeler les faits :

• Demandeur d’Asile ayant fui le Soudan le 22/09/2014, j’ai obtenu le statut de réfugié en France le 24/01/2019,

• Titulaire au Soudan du Permis de Conduire depuis le 28/06/2011, j’ai fait le 19/02/2019 la demande à votre administration pour bénéficier d’un échange de ce permis contre le Permis de Conduire français,

• Vous rejetez cette demande au motif que l’article 5-1-B de l’arrêté interministériel du 12/01/2012 précise que le permis d’origine doit être en cours de validité au moment du dépôt de la demande.

• Au Soudan le Permis de Conduire doit être renouvelé tous les ans ; renouvellement lié aux résultats d’une visite médicale et au paiement d’une taxe. Ce renouvellement n’a donc naturellement pas pu être fait après ma fuite et explique la caducité du document au 28/6/2016.

Je souhaite contester cette décision pour le motif suivant :

• L’Article 11 de l’arrêté du 12/01/2012 a été modifié par l’Arrêté du 9 avril 2019 - art. 1 et stipule II. - Les dispositions du B du I de l’article 5 relatives à la validité du titre ne sont pas applicables aux bénéficiaires du statut de réfugié, aux apatrides et aux étrangers ayant obtenu la protection subsidiaire dès lors que la validité du permis liée au paiement d’une taxe ou au résultat d’un examen médical est arrivée à expiration à la date où le délai d’un an, défini selon les modalités prévues au deuxième alinéa, commence à courir. Il me semble que mon cas entre dans ces dispositions. En conséquence, je vous saurais gré, qu’au regard des faits précédemment énoncés, vous reveniez sur l’avis de votre décision de rejet de la demande d’échange de Permis de Conduire me concernant. Je me tiens à votre disposition pour de plus amples informations ou pour un entretien ultérieur, au cours duquel je pourrais défendre ma cause de vive voix.

Veuillez agréer, Madame la Directrice, l’expression de ma respectueuse considération. »

Mojtaba a reçu une réponse lui disant que sa démarche ne pouvait pas être prise en compte. Il s’est donc inscrit pour passer le code de la route qu’il a obtenu. Alors qu’il prenait les cours de conduite et qu’il était inscrit pour l’examen de conduite, il reçoit le 26 février 2021 un courrier de la préfecture de la Loire Atlantique : « J’accuse réception de votre demande de recours gracieux reçue le 22 juillet 2020 concernant le refus de l’échange de votre permis de conduire. Je vous informe que les éléments transmis ont été pris en compte et l’instruction de votre dossier est réouverte… ». Ce courrier lui demande de lui transmettre l’original de son permis de conduire soudanais. Mojtaba transmet donc son permis. Quelques jours plus tard, il reçoit une attestation de dépôt de permis de conduite qui lui redonne l’autorisation de conduire de deux mois du 16 février au 16 avril 2021. Il a reçu son permis de conduire peu avant le 16 avril.

Du 19/02/2019 au 16/04/202, soit 26 mois d’attente. Pourquoi ? Par négligence d’un agent du service de la préfecture qui n’a pas lu jusqu’au bout l’article de loi ? Par volonté des services de l’Etat de mettre des obstacles ?

Ces témoignages ont été entrecoupés de deux poèmes écrits par Geneviève, une bénévole de la LOCO. Le premier lu par Mojtaba et Geneviève, le second par Jean-Paul et Geneviève. 

Suite aux témoignages, les voitures chargées de l’ensemble des demandeurs d’Asile et des bénévoles se sont dirigées sur Chanteloube pour partager le repas que Saïdal, souffrant en début d’après-midi, avait préparé lorsque les maux de tête avaient pris fin.

repas du soir
Le repas du soir

 

Après le repas, Didier a proposé que trois équipes se fassent afin de faire le bilan de cette journée. Bien entendu, la partie de luge a été évoquée et saluée. 
Mais d’autres éléments importants ont été soulignés. La participation à la rencontre au cours de laquelle les témoignages ont eu lieu. Certains disaient que c’était bien que les gens entendent les parcours difficiles vécus par les uns et les autres. De sentir toute cette attention et regards bienveillants leur redonne force et réconfort. La question de la liberté a été évoquée suite au poème de Geneviève. 

« Je suis très content, surtout de voir tous les bénévoles qui s’occupent de nous pour des sorties, découvrir. Avant je me sentais comme si j’étais abandonné. Maintenant je vois que c’est le contraire. Vous vous occupez de nous, de nos problèmes. On était des gens désespérés. Vous prenez soin de nous. J’ai pris conscience de tout cela, surtout quand nous étions dans la salle aux Estables. Nous avons parlé de notre histoire. Nous étions nombreux pour écouter notre histoire, notre problème de vie. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de personnes comme dans la salle qui vont nous aider dans notre situation difficile. Ça, ça m’a beaucoup touché. Je sens que des français sont là pour prendre soin de nous et nous aider dans nos difficultés. Nous sommes désespérés depuis notre pays d’origine. Rien ne tient plus chez nous. Nous sommes désespérés et nous sommes là pour trouver des solutions. Vivre comme les autres vivent. Parce qu’ici, je sens qu’il y a la liberté, la fraternité et l’égalité. Car chez moi il n’y a pas cela. C’est ici que j’ai pu connaitre cela parce qu’il y a plein de bénévoles ici qui veulent prendre soin de nous. Ça, ça me va droit au cœur. Ça m’a beaucoup surpris. Je ne sais pas comment vous récompenser, si ce n’est de vous dire merci. » Yaffa

« Un séjour à Chanteloube, franchement génial.  Déjà, il y avait des gens pour nous écouter lors de la soirée témoignages aux Estables. L’assemblée était attentive à mon histoire. Certains sont venus me demander des explications. Même si c’est difficile pour moi de répéter mon histoire, je le fais parce que ça peut aider d’autres. Il y a des associations qui nous aident. Sans eux cela serait difficile pour moi. Pour le permis je ne voulais pas intervenir. S’il n’y avait pas eu Jean-Paul, mes problèmes n’auraient pas été résolus. Eux savent mieux que nous la loi de France. Aujourd’hui, c’était une belle rencontre. Une fois que j’ai quitté le centre de saint Beauzire, j’étais dans le travail. Le travail prend du temps. Je suis content de prendre du temps avec la Loco parce que cela peut aider d’autres. J’ai dit que c’était grâce aux bénévoles. C’est vous qui nous avait appris la solidarité. On essaye de partager. » Mojtaba

Christophe B. a souligné en fin de ce bilan combien tout ce qui a été souligné montre bien que ‘tout seul on peut aller plus vite, mais qu’ensemble, on va plus loin ! » Toutes les situations apportées le manifestent bien. Didier a souligné également que divers objectifs de la LOCO étaient validés. 
    • La socialisation des personnes, pour lutter contre l’isolement. 
    • Le développement des liens sociaux et la cohésion sociale, pour favoriser le « mieux vivre ensemble ». 
    • La prise de responsabilité des usagers et le développement de la citoyenneté de proximité, pour développer les compétences des personnes et les impliquer dans la vie sociale.
 

 

On peut retrouver sur le Blog Mediapart de Georges André le récit de la conférence : 
Mézenc terre d'accueil 2021 - 3

Samedi 17 juillet 2021

Les plus récents