Notre premier ministre et l'eau

Migration

François Héran dans ses cours au Collège de France (Migrations et sociétés) ou Ivan Segré ("La « crise des migrants »") ont montré que les médias et "intellectuels" de droite et d'extrême-droite usent et abusent de la métaphore aquatique quand ils parlent de la migration:

  • Les flux de migrants s’écoulent des contrées pauvres vers les contrées riches, ou des espaces surpeuplés vers les espaces sous-peuplés....
  • En 2015, un flot d’un million et demi de migrants s’est déversé sur le continent européen. On craignit le pire : l’inondation, sinon le déluge. Il fallut donc endiguer.
  • La grande vague des exilés ou des réfugiés du Proche-Orient qui est apparue à partir de la fin de l’été 2015 et cette vague considérable, certains ont parlé de tsunami...
  • La métaphore aquatique est en effet d’usage courant pour décrire le phénomène. On parle volontiers de « vagues migratoires » ou d’un « flot de réfugiés ». Ou bien, tandis qu’à l’ère du numérique il y a des flux d’informations, lors d’une « crise migratoire » il y a un « afflux » de réfugiés, c’est-à-dire une arrivée soudaine, massive et liquide.

Le liquide, à la différence du solide, est informe. Pour signifier l’eau, on se demande donc, dans certaines langues, ce que c’est : en latin « aqua » ; en anglo-saxon « water » ou « wasser » ; en hébreu « maïm » (מַיִם) — respectivement quoi?, what?, was?, ma? (?מַה). Autrement dit, l’eau est une masse informe, de même que ces masses de gens qui affluent vers l’Europe ou les États-Unis.(1)

Et pour traiter de l'informe, pas besoin de s'encombrer d'humanité, les chiffres suffisent. Il ne s'agit de faire que de la gestion.

Notre premier ministre, lors d'une interview sur LCI lundi 27 janvier, lui aussi a parlé de submersion en s'exprimant sur l'immigration. Soyons juste, il a parlé d'un "sentiment de subversion".
Si, comme on peut le penser, l'usage de la métaphore aquatique est un marqueur de l'extrême-droitisation du discours, nous sommes bien mal partis. Mais ça on s'en doutait déjà un peu. Seuls les pseudo-progressistes aveugles ou hypocrites, sous l'argument fallacieux de la responsabilité, s'y sont laissés prendre. Ils se reconnaîtront.

Se noyer dans les chiffres

Nous découvrons par hasard le communiqué de presse du 26/2/2025 du Comité interministériel de contrôle de l’immigration — où, entres autres, on fustige l'Algérie ("c'est eux qu'ont commencé") —  et où le premier ministre en parlant de la "pression migratoire" dit (page 1):
"Notre capacité d’accueil n’est pas dimensionnée pour faire face aux besoins d’intégration qui résultent de cette dynamique migratoire"

Tiens donc! Monsieur le premier ministre dit le contraire de son ministre de l'intérieur, dont les chiffres publiés dans son étude Les chiffres de l'immigration en France et opportunément tordus ("Les premières demandes d’asile en baisse de près de 10 %") ont servi de prétexte à la suppression de 6500 places dans le DNA (Dispositif National d'Accueil) dans le Budget 2025 et nous donne raison (voir l'article Qui veut noyer son chien...). Si j'osais, je dirais qu'il apporte de l'eau à notre moulin.

En attendant, quand certains sont submergés au sens propre, que toujours plus de migrants se noient sous nos yeux au Sud (40 000 morts en Méditérannée depuis 2014) comme au Nord (77 morts dans la Manche en 2024), nous, nous avons un gouvernement qui se noie dans les chiffres.

(1) Yvan Segré. La « crise des migrants » 

Mercredi 2 avril 2025

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